[Ruby] Bordel de Bordel !

Autant dire que voir régulièrement la vieille n'était pas non plus pour le plaisir de Ruby, aussi y alla-t-elle sans détours, en se plantant bien droite devant la baveuse.

"Comme vous avez l'air exténué soyons brèves : si votre employeur est présentable, alors je pense qu'il sera fort énervé que vous m'ayiez interdit l'accès, s'il est encore couché, faites donc envoyer une missive pour qu'il la trouve à son réveil, je resterais dans les parages."

Elle regarda une des bagues qui ornait ses mains, butin de ses multiples prises maritimes, en choisit une où une grosse pierre renvoyait un éclat lumineux, et la posa devant la vieille.

"Voilà qui mettra soit du beurre dans vos épinards, soit qui saura séduire votre prochain amant. Alors ?"

" À dire vrai, j’espérais que lui aussi ne se soit pas encore couché."

Ruby avisa les lieux qui étaient bien peu accueillants à cet étage-ci.

"Très bien. Je vais aller marcher un peu sinon je vais m'endormir sur place. Je reviendrais en milieu de matinée... Est-ce que ce sera plus convenable ?"

Elle attendit la réponse de la vieille et sortit accompagnée de Sieben, pour aller trouver une terrasse d'où observer le balais aérien et se remplir un peu l'estomac.

Ruby n'entendit même pas la jeune fille s'adresser à eux.
La boule de plomb était de nouveau présente au creux de son ventre, face à la vision du ciel et des anges qui y tournoyaient.

Sieben passa commande de deux petits déjeuners (miche de pain, oeufs, saucisses, café ? je ne sais pas ce qu'ils mangent à Clémence au petit déj' ) avec boissons chaudes.
Celle-ci repartit et il attendit que son Capitaine revienne un peu sur terre.

La jeune femme soupira. Elle se demandait si elle faisait bien de faire passer en priorité Archibald.
Pourvu que Samuel échappe à sa sœur, encore une journée au moins...

"Alors..." elle regarda Sieben en s'arrachant à ses mornes pensées "je suis heureuse de voir qu'être Capitaine te plait autant..."
La montagne de muscles fronça les sourcils.
Ruby sourit, tapota sa main de la sienne.
"Ne t'inquiète pas, je te taquine. Tu as toute ma confiance."
Il lui répondit d'un clin d'oeil, regarda alentour et lui répondit sur son ton habituellement calme mais assez bas pour que personne d'autre ne l'entende.
"Va y avoir du grabuge ce soir. Ça m'rassure pas de voir tous ces pigeons de sortie."
"Ouaip... J'ai dit à Caessa de faire graisser les canons et de vérifier le stocks de poudre et les voiles, par prudence."

Elle tapota sur la table avec ses doigts.
"Il n'est pas exclut que vous deviez prendre le large dès cette nuit, suivant comment les choses se dérouleront."
"Ça ne me plait toujours pas, mais nous aviserons suivant tes instructions."

Ils se turent tandis que la jeune serveuse revenait avec leur commande.

Ruby fut tout d'abord surprise de la question, et puis elle réalisa que si elle avait tout confié à Sieben et Caessa, une journée s'était écoulée depuis.
Et les journées de Clémence semblaient être aussi fournies que des semaines !

"Pardon Sieb', j'ai l'impression de ne plus toucher terre depuis que j'ai débarqué dans cette ville."

Elle piqua sa fourchette dans son assiette en soupirant.
"Bon, comme tu l'auras compris, on a retrouvé l'homme qui m'a infligé ça - elle montre ses cicatrices - et c'est lui que l'on compte cueillir ce soir."
Sieben acquiessa d'un signe de tête. Ca, il l'avait compris cette nuit.
"Il va morfler le salaud..."
"Pour le Clergé... tu te rappelle de Samuel, l'ange que je croyais mort..."
"Ton amant..."
Ruby s'empourpra légèrement. Ces mots sonnaient délicatement et un brève instant elle eut la sensation d'un baiser sur ses lèvres...
"Oui... et bien il semblerait qu'il ait survécut lui aussi. C'est lui que le clergé, ma sœur y comprit, recherche avidement."

Elle reprit la parole alors que Sieben allait ouvrir la bouche.
"3 longues années à errer dans les bas-fonds de Clémence, à se cacher pour survivre, à souffrir, à maudire le monde de lui avoir tout pris... à me croire morte ?"

Elle planta ses yeux dans ceux de son second.
"J'ai peur Sieb' . Peur qu'il ne me reconnaisse plus, peur de ne pas être capable de le ramener à moi, qu'il soit allé trop profondément sur un chemin qui m'est inconnu...
Lorsqu'elle parlait de Samuel, elle avait une mélancolie et une tristesse dans la voix, mais celle-ci se durcit d'un coup :
"Mais surtout j'ai la haine, une haine telle que si je ne la retenais pas, me rendrait folle. Une folie meurtrière.
Envers cette ville, ces nobles et surtout ma mal-baisée de soeur ! "

Elle frappa du poing sur la table tout en finissant sa phrase, faisant se renverser un peu de leurs boissons et se tourner quelques têtes vers eux.
Sieben les foudroya aussitôt du regard et les conversations reprirent mine de rien autour d'eux.

La jeune femme, elle, mit un bout de son déjeuner dans sa bouche et le mâchouilla longuement.

Ruby avala sa bouchée et posa sur son compagnon un regard chaleureux et fraternel.

« Vous, Sieb’, vous êtes ma famille, une partie de moi.
Mais je ne peux pas abandonner Samuel.
Lui aussi est une partie de moi, et je dois tout faire pour l’aider.
Toi… tu es surement le mieux placer pour comprendre : si tu étais à ma place et que c’était ta femme qui était traquée… Tu n’irais pas à sa rescousse ?
Tu ne donnerais pas jusqu’à ta vie pour la secourir ?
Oui, nous ne serrons jamais tranquille, mais ça, on le savait déjà avant…»

Elle piqua de nouveau dans son assiette.

Ruby repensa à la colline, le grand arbre, les bras de Samuel autour d’elle…
Ils avaient tant redouté que le monde sache, et au vu des conséquences ils étaient loin d’avoir imaginé le pire.
Elle avait cru que Sieben comprendrait car il avait lui aussi perdu des êtres aimés et chéris, mais les mots qu’il venait de prononcer l’avaient piqué au cœur comme des aiguilles acérées.

Personne ne pouvait comprendre. C’était ainsi.
Rien n’avait changé en 3 ans, elle avait été bête de penser l’inverse.
Ils étaient seuls au monde, uniques et incompris.

Elle reposa sa fourchette et regarda Siben, visiblement mit mal à l’aise par le long silence qui venait de suivre ses paroles.

Mais la jeune femme lui sourit, et ce fut sur un ton calme et plein d’assurance qu’elle lui dit :
« Tu as raison. J’ai été égoïste et je ne peux pas jouer à la roulette russe avec vos vies comme si de rien n’était. »

Elle prit une grande inspiration et le regard planté dans celui de Sieben, elle déclara :
« À partir de cet instant je me dédis des charges de Capitaine et te lègue la responsabilité du Flamboyant et de son équipage. Avant de retourner voir le Chevalier j’enverrais une missive à Zhamira pour lui dire que tu seras le nouveau Capitaine, jusqu’à ce qu’elle nomme quelqu’un d’autre ou qu’elle décide de te garder. À toi de faire tes preuves désormais. Mais j’ai confiance en toi. »

Sieben la regardait les yeux ronds et la bouche ouverte sans savoir quoi dire.
Ruby continua.

« Maintenant, si le nouveau Capitaine que tu es décide de lever les voiles de suite et préfère ne se mêler en rien aux affaires de cette nuit, je trouverais que c’est une sage décision. Tu es désormais le maître du navire… »

Ses derniers mots moururent dans sa gorge. Ce qu’elle venait de dire lui avait coûté beaucoup, et même si elle avait les larmes au bord des yeux, ça n’enlevait en rien à sa détermination.

Elle tenait à eux tous et ne pouvait les envoyer à la mort.
Mais Samuel avait besoin d'elle plus que tout. C'était la seule solution.
Elle devait être forte.

Ruby sourit. Elle en aurait pleuré si elle ne s'était pas promis de ne plus verser de larmes...

"Ca me convient comme ça, tu as complètement raison pour Zamira. Tu as toujours été plutôt sage et de bon conseil de toute façon."

Elle bu une longue gorgée du breuvage qu'on leur avait servi pour finir de dénouer le nœud dans son estomac.

"Bien, pour ce soir, le but est de cueillir Archibald, principalement. Peut-être y aura-t-il des rescapés de Ses expériences a sauvé également... Dans tout les cas Loubna - tu sais la jeune fille peu vêtue sur laquelle tu lorgnais - a un contact avec un milicien haut gradé qui sera là pour légitimer l'action, et pour empêcher au passage que l'ange foudroie tout le monde sans sommations. La trentaine d'hommes du Chevalier, ce sera pour le plan B, si ça vire vraiment mal, ils pourront nous couvrir pendant qu'on emmènera Von Tilber."

Elle fixa bien droit Sieben.
"Mais le but n'est pas de se frotter à l'ange ou à Themesia directement. Pas cette nuit. Seulement il nous faut absolument cette pourriture, non seulement pour le procès, mais aussi pour épargner de nouvelles vies innocentes."

Ruby acquiesça d'un signe de tête.

"C'est préférable en effet, on fera comme ça. Même si je pense que les miliciens auront leur propre navire, faut pas jeter mémé aux requins quand même... Ce qui ne change rien à la donne. Et quant aux hommes du Capa, on gardera bien un oeil dessus, car ça ne me plait pas de les savoir à bord, mais en même temps on ne peut pas se passer de leur appui."

Elle passa les bras au-dessus de sa tête et les étira.

"Inimaginable est un mot bien choisi. Mais garde à l'esprit que c'est notre peau - celles des pirates - que nous jouons principalement ce soir. Cette ville mériterait qu'on la brûle de ses fondations au haut de ses clochers. Oh, ce n'est pas la seule et peut-être pas la pire, mais tous mes griefs personnels viennent d'elle et des cloportes qui foulent son sol et pour ça je voudrais la voir couler dans les eaux."

Elle haussa les épaules, respira un grand coup, évitant de s'énerver une nouvelle fois.

"Ce soir, si tout se passe bien nous aurons fait un grand pas vers ce pour quoi Zamira nous avait laissé ici, et pour le moment c'est ça qui compte."

Ruby aurait voulu s'en persuader en disant cela, mais elle savait bien que ce n'était pas la seule chose.
Mais pour le reste, ce n'était plus l'affaire de Sieben ni des autres marins désormais.

Ruby acquiesça de la tête, effleura du bout des doigts la plume blanche qui ornait son chapeau, puis le remit sur sa tête, d'air air inquiet, en pensant à son aimé.

"Oui, oui ça va."

Elle respira un grand coup, prit un visage de façade souriant et avenant.

"Bien, allons à notre rendez-vous, et surtout ne laissons rien échapper sur nos inquiétudes et soucis. Il s'en servirait contre nous et nous ne pouvons nous permette ce luxe. Entendu ?"

Ils sortirent donc après avoir payer leur note pour retourner à l'auberge du Capa.

Avant d'aborder la vieille et de se faire remarquer, Ruby tendit les oreilles pour essayer d'entendre le plus d'informations sur la visite des guerrières dans le coin.

Sieben et elle échangèrent un regard entendu. Ils devaient laisser filtrer le moins d'informations quant à leurs futurs projets, marcher sur des œufs.
Ruby aborda donc la vieille femme avec un ton 'amical'.

"Et bien, les prêtresses de Thémésia sont vraiment de partout aujourd'hui."

'ça veut dire qu'elles n'ont pas encore trouvé ce qu'elles cherchent...' pensa-t-elle 'mais pour combien de temps encore.'

[i]"Ne vous tracassez pas plus que cela, je ne sais pas ce qui leur prend mais vous n'êtes pas le seul bâtiment du quartier où elles ont dû se rendre... Au moins, comme elles ont vu le Chevalier je sais qu'il est donc réveillé..."

Elle fit exprès d'affirmer la chose, attendant de voir si la baveuse confirmait ses dires...

Ruby fit signe à Sieben de la laisser seule avec le Capa, elle retira son tricorne et laissa sa chevelure tomber en cascade sur ses épaules, habillant en même temps son visage d'un regard aguicheur et d'un sourire enjôleur. Puis, s'avançant de quelques pas dans la pièce, elle répondit d'une voix assurée mais douce.

"Votre flamboyante Ruby, Monsieur, et je m'excuse de vous déranger si tôt. Je pourrais revenir plus tard dans la journée mais l'affaire dont je souhaitais m'entretenir avec vous étant assez pressante, j'ai du venir vous voir au saut du lit..."

Elle attendit qu'il se tourne pour la regarder et dégagea ses mèches qui tombaient un peu n'importe comment sur sur visage avec un geste qu'elle voulu emprunt d'une certaine sensualité, en continuant :

"Moi-même j'ai eu peu de temps pour m'apprêter, j'espère que vous ne vous en offenserez point."

Elle attendit de voir si son petit manège avait un effet quelconque sur l'humeur de son hôte.

Ruby se rendit bien compte que l'humeur du Chevalier ne changerait pas avec quelques sourires charmants. Elle s'installa donc face à lui et, avec un timbre de voix neutre, prit la parole.

"J'imagine bien ce qui vous met dans cet état, je les ai croisé en arrivant... Aussi ne m'attarderais-je pas pour ne pas devenir indésirable. Je venais vous dire que l'heure est venue de passer à l'action, et qu'il faudrait que les hommes dont nous avions parlé soient prêt pour ce soir..."

Elle se tut, essayant de décrypter le visage de l'homme en face d'elle.