Sur un air de Jaz

« Salut, appelez-moi Jaz ! (Prononcez djââz) ». Voilà comment il se présente le jeune garçon de même pas vingt ans, assis là bas. J’ai dit jeune garçon ? Pourtant, dans l’Empire, à quinze ans on est déjà un homme ! Ben pas Jaz… Si on presse bien sur le nez, je vous assure qu’on en tire encore du lait!
C’est le genre de fils à papa, sûrement issu d’une petite bourgeoisie laborieuse, mais qui lui, a profité de l’aisance de ses parents. On voit bien qu’il n’a jamais vraiment travaillé, ses mains sont fines, pas de cornes ! Un intello ! Sûr qu’il n’a jamais eu faim, lui. Oh, il n’est pas bien gras, plutôt maigrichon même, mais pas le genre frêle affamé, plutôt le genre qui n’a jamais eu vraiment à se servir de ses muscles ! Bon, ça en fait tout de même un jeune homme plutôt séduisant, avec ses cheveux mi-longs, blonds tirant sur le vénitien et ses yeux gris. Il doit avoir du succès dans les salons ou les clubs d’étudiants !

Mais alors, vous allez me dire, qu’est ce qu’il fait là, dans cette taverne du bout du monde ? On aurait presque pitié de lui, tout perdu, son regard innocent porté sur un monde féroce ! C’est déjà un miracle qu’il soit arrivé là sans se faire bouffer par un loup, trucidé par un brigand ou même pire !! Oh! Il va vous le dire, pas besoin de demander longtemps. Il a lâché les études parce que « ça craint trop ». Il était étudiant en « géo » puis il s’est dit : « nan mais c’est trop nul, j’apprends des noms d’endroit ou j’irais jamais ! Alors du coup, j’me suis dit Jaz, assure, t’es un homme, fonce, go à l’aventure quoi ! ». Et de conclure avec un sourire plutôt gêné, l’air de dire que finalement, l’aventure, c’est surtout avoir faim, soif, froid, dormir dehors, et se cacher des méchants… Ou alors, si vous êtes un méfiant de nature, z’allez vous dire qu’il ne vous dit pas tout. Et alors ? Quand bien même il vous cache un truc, ça ne peut pas être bien méchant ! Il ne ferait pas de mal à une mouche ce jeune blanc-bec ! Je suis sur que vous avez déjà croisé des mouches bien plus dangereuses que lui ! Aller quoi, même un gros dur comme vous se prend de sympathie pour un mecton comme Jaz… Et vous voilà parti à lui payer un verre. Et d’un coup dans la conversation, vous lâchez un « je vais jusqu'à XXX, demain, t’as qu’à m’accompagner si tu veux ». Et voilà ! Vous êtes entiché d’un badaud pour le reste de votre voyage !

En voyageant un peu avec lui, vous allez vite vous rendre compte que vos soupçons étaient fondés ! Jaz est un oisif, pas habitué à la marche. Oh, il sait plein de choses, la géographie, ça a du bon, mais c’est un fort en thème, dans la pratique, ne lui demandez pas d’allumer le feu pour la popote ! Et ne lui demandez pas non plus de faire la popote !! Et puis Jaz est vite impressionnable. Voila, dans l'ordre, ce qui lui fait perdre ses moyens: les femmes, les armes, les grosses voix, les animaux… Surtout les femmes ! Jaz, on s’en rend vite compte, c’est un timide naïf, un couard aussi, il n'y a qu’à voir comme il sursaute au moindre bruit de forêt ! Il n’est pas à sa place, il le sait et ça le met très mal à l’aise… Mais on devine pourtant l’envie de découvrir, d’apprendre. Il en veut, tout peureux qu’il est ! C’est sûrement ça qui le rend attachant, mine de rien. Il faut un certain courage pour tout quitter et aller voir le monde. On en fera peut être quelque chose de ce petit là, si les cochons ne le mangent pas avant…

Enfin, je vous dis tout ça, mais si ça se trouve, vous ne l’avez même pas calculez, le petit. Emmitouflé dans sa longue pèlerine de voyage, il ressemble à tout le monde. Moi, je ne l’ai remarqué qu’au moment ou il a retiré la cape. J’ai d’abord cru que c’était un saltimbanque, avec ses chausses violettes, sa chemise jaune a jabot et son veston sans manche noir de jais. Après je me suis dit que c’était un rupin vu que c’est à la mode à ce qu’il paraît. Remarquez, je n’avais pas vraiment tord… Je parie qu’il a toute sa garde robe dans ses deux gros sacs qui ne le quittent jamais. Je peux vous l’avouer, maintenant, au début, quand je me suis assis pour lui causer, ben j’avais bien l’intention de le détrousser… Puis, je ne sais pas, un moment de faiblesse… Mais là je dois vraiment y aller, alors je vous le confie, ok ? J’ai du boulot et du pas joli joli, je ne veux pas qu’il assiste à ça, si vous voyez ce que je veux dire. Aller, soyez sympa avec lui, je l’aime bien ce gamin…