Une nuit à la casa de Ontiveros

Antoine avait choisi soigneusement sa nuit. La lune brillait doucement dans le ciel, éclairant suffisamment pour se repérer dans l'obscurité. Le jeune montaginois sortit des buissons qui bordaient la route et se dirigea vers la propriété de la famille Ontiveros. C'était cette nuit qu'il comptait agir.

Il avait reçu la confirmation de doña Penelope qu'elle souhaitait qu'il l'enlève ce soir. Et comment eût-il pu refuser ? Un gentilhomme se devait de répondre présent à cette sorte d'invitations.

Restait à savoir comment il allait s'y prendre...

Le spadassin avait bien failli venir déguisé en serviteur mais c'était bien vite ravisé. Ainsi vêtu, il serait resté invisible des noble et probablement des gardes... mais le personnel de maison l'aurait aussitôt démasqué.

C'est donc tout de noir vêtu qu'Antoine partait faire son devoir.
Le ciel idéal, lune pleine mais de nombreux nuages, permettait de se faufiler discrètement tout en ayant une bonne visibilité.

Même si la garde devrait être mieux organisée que la dernière fois, le jeune homme n'aurait certainement aucune difficulté à passer inaperçu jusqu'au balcon... mais faire sortir doña Penelope relevait du défi... peu probable qu'elle parvienne efficacement à se fondre dans les ombres...

La sortie était prévue.
Deux chevaux attendaient à l'écart de la propriété pour permettre une fuite rapide.
Si besoin, au pire des cas, il fuirait jusqu'aux catacombes d'Altamira, sous le port. Pas qu'il connaisse tous les coins et recoins de ces souterrains mais simplement qu'il avait repéré un trajet permettant de tourner en rond... et par conséquent de revenir au point de départ tout en semant les poursuivants éventuels. Solution peu efficace mais assez amusante.
L'idée de tourner les gardes en bourrique lui plaisait bien.

Son le bras, Antoine transportait, bien ambalé, ce dont il aura besoin pour faire sortir la demoiselle. Une fois arrivé dans la chambre de la belle, tout ceci lui servira.

A la faveur d'un nuage, Antoine s'engagea dans la propriété Ontiveros.
Il empruntera la même voie que la première fois: les jardins.

A cette heure-ci, rien ne bougeait dans les jardins. La brise printanière agitait doucement les branches des arbres fruitiers. La garde semblait absente de l'endroit, sans doute occupée dans d'autres endroits de la propriété.

Le jeune montaginois put sans difficulté s'avancer jusqu'au mur au-dessus duquel se trouvait la fenêtre de doña Penelope. Comment allait-il grimper ?

Le lierre grimpant offrait une possibilité aussi bien simpliste que chevaleresque. Mais également très précaire...
La corde avec grappin? Il le réservait pour redescendre. Lancer du métal contre de la pierre est un peu bruyant dans le silence nocturne...

A la faveur d'un obscurcissement du ciel, Antoine, d'un bond, saisi à bout de bras le rebord du balcon. Mais là où le spadassin pensait faire une entrée fulgurante, c'est finalement avec grande difficulté qu'il se hissa jusqu'en haut, arrivant juste avant une troué du ciel.
Rouge comme une pivoine à cause de l'effort fourni, le jeune homme se refit une contenance avant de frapper à la fenêtre du balcon suivant le code convenu.

La porte s'ouvrit sans résistance. Le jeune spadassin se retrouva face à une chambre plongée dans le noir. S'avançant à l'intérieur, il dut se rendre à l'évidence. Doña Penelope ne s'y trouvait pas. Apparemment, certaines de ses affaires manquaient aussi, dont les piles de livres qui jonchaient habituellement le sol de sa chambre.

On frappa à la porte.

- Doña Penelope ! appela une voix masculine. Votre père vous réclame !

Puis la poignée de la porte commença à tourner.

Antoine devait se décider très vite.

Cela ressemblait-il à un simple départ ou à un enlèvement de force?
Le plus important restait la recherche de traces de luttes... mais le temps manquait cruellement.

Le spadassin se déplaça prestement derrière la porte de manière à ce que son ouverture le camoufle entièrement de la vue du visiteur.

- Dame Penelope ?

Antoine aperçut, à travers les interstices de la porte, un homme de son âge, aux cheveux courts et d'une mince carrure. Il portait aussi un habit d'homme d'église, qui flottait sur ses maigres épaules. Le jeune prêtre fit un pas à l'intérieur de la pièce sombre.

- Dame Penelope ? répéta-t-il.

Puis il sembla comprendre ce qu'il avait devant les yeux et se retourna vers la porte, prêt à prévenir la garde.

Plus besoin de discrétion...
Antoine alluma les bougies du plafonnier avant de commencer ses recherches.
Il devait trouver un indice, n'importe lequel, mais une preuve tangible à laquelle s'accrocher...
Qu'est-il donc arrivé à doña Penelope?

Le temps que les gardes arrivent...
C'était court mais pas impossible...

Dans la chambre faiblement éclairée, Antoine tenta de chercher son indice.
Or, la jeune femme semblait avoir laissé la plupart de ses affaires, d'après ce qu'il lui paraissait. Cependant, certains objets étaient absents, comme ce roman d'amour qu'elle lisait la dernière fois. De même, son vieux jeu de tarot n'était plus.
Par contre, l'étole qu'elle portait toujours gisait à présent sur le lit. Elle devait pouvoir montrer ses cheveux en public, à présent.

Mais des pas se précipitaient dans l'escalier.

- Penelope ! Où est cette sorcière ?! hurlait-on.

Antoine reconnut la voix de don Benito de Ontiveros.

Si doña Penelope est victime d'un enlèvement, le devoir d'Antoine était de la retrouver.
Si doña Penelope lui a tendu un piège, il se devait de s'en dépêtrer.

Sur ces constatations, le spadassin retira le foulard masquant son visage et s'assis sur un siège, attrapant le premier livre venu.

C'est avec un air nonchalant de lecteur assidu qu'il attendit l'arrivée de don Benito de Ontiveros

La porte s'ouvrit à la volée. Un homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux défaits et en tenue de nuit fit irruption dans la pièce.

- Penelope ! hurla-t-il.

Puis il stoppa net en découvrant Antoine. Aussitôt, ses yeux s'érécirent et il prononça lentement :

- Il me semble vous connaître, monsieur...

Antoine salua respectueusement don Benito.

- Effectivement, j'ai eu l'immense honneur de participer au tournois organisé dans votre maison. Que vous vous souveniez de moi m'honore.

Puis, devant la mine déconfite de son interlocuteur il ajouta avec un brin d'ironie:

- Est-il possible de vous entretenir en privé ou souhaitez vous me faire arrêter immédiatement?

Le noble haussa un sourcil devant l'impudence du jeune homme. Puis, sans répondre, il se retourna et sortit de la chambre.

- Attrapez-moi ça et faites-le parler, entendit Antoine.

Les gardes se précipitèrent dans la pièce.

A ces mots, Antoine, d'un bond presque félin, atteignit la fenêtre du balcon.
Puis, se retournant, salua les gardes menaçants:

- Votre maître a fait son choix, le mauvais m'est avis, mais je le respecterai. Je ne puis malheureusement me laisser capturer...

Le spadassin sauta prestement du balcon au moment même où les soldats arrivaient à portée d'estoc.

Le jeune homme sauta prestement dans le jardin. Profitant de l'obscurité, il réussit à se glisser entre les patrouilles jusqu'à atteindre la sortie. de là, il put récupérer les chevaux et s'enfuir dans la nuit.

*****

Au sommet d'une colline avoisinante, Penelope regardait avec inquiétude le jeune homme chevaucher dans la campagne. A côté d'elle se tenait un homme au masque blanc reconnaissable. La jeune fille se tourna vers lui.

- Est-ce que cela va aller pour Antoine, señor Vago ? C'est homme bon, il ne voulait que m'aider...

- Je ne m'en fais pas pour lui, doña Penelope. Quoi qu'il arrive, vous avez fait le bon choix. Mes Vagos s'occuperont bien de vous.

- Je l'espère, soupira la jeune fille en se dirigeant vers leurs chevaux, je l'espère...