Einhard Drachenkopf von Sieger

La jeune femme rousse ouvrit de grands yeux en reconnaissant l'homme.

- Einhard ? fit-elle en tendant machinalement la main pour qu'il y pose ses lèvres.

Elle remit son épée au fourreau, tout en réfléchissant furieusement. Que faisait-il ici ? Et pourquoi ces questions ?

- Pour l'instant, "Les Aigles du Nord" sont stationnés à Ingen, répondit-elle lentement en attrapant une serviette. Et toi ? Qu'est-ce qui t'amène à Altamira ?

La retenue manifeste dont faisait preuve la jeune femme n'ôtèrent ni ses manières, ni son sourire à Einhard. Il n'empêche qu'il n'en était pas moins décontenancé.
L'eisenör nota que la famille semblait être un sujet sensible, et ne s'offusqua pas. Tant de temps était passé depuis la dernière fois qu'il l'avait vue ! Il se rendit compte qu'ils étaient presque des inconnus à présent. Presque.

J'aurais aimé pouvoir dire que je suis ici pour visiter. Tu me connais. Mais de récents évènements en Sieger m'ont mené ici contre mon gré. Si j'avais su ! Comme quoi, le hasard fait bien les choses.
Mais je suis sûr que cet entrainement t'a donné soif, et nous serons plus à l'aise pour discuter autour d'un verre. Et dieu sait que nous avons du temps à rattraper !
A moins que tu ne veuilles d'abord faire quelques passes ? demanda-t-il en tapotant la poignée de son épée large.

- Non, j'ai déjà bien sué, fit-elle en secouant la tête.

Puis elle sourit à Einhard.

- Mais je ne dis pas non pour un verre. Je suis complètement libre en ce moment, j'ai un peu de temps.

Elle se dirigea en direction des vestiaires.

- Tu veux bien m'attendre devant la guilde, le temps que je me change ? lui lança-t-elle sans se retourner.

La jeune rousse ressortit peu après de la guilde. Elle s'était changée, troquant ses vêtement d'entraînement contre une robe toute simple qui masquait ses formes tout en les soulignant.
Elle sourit en voyant Einhard qui l'attendait.

- Désolé, ça a pris un peu de temps, fit-elle en baissant les yeux vers sa robe.

Puis elle reprit :

- Puisque tu ne connais pas la ville, je vais te montrer mon bar préféré. Ca s'appelle "la Taberna de la Madona".

Elle entraîna Einhard sur une grande place, près des bâtiments de la guilde. C'était une petite auberge sans prétentions aux murs blancs et au toit de briques. A l'intérieur, on pouvait voir une dizaine de tables, le comptoir au fond et deux escaliers, l'un vers le premier étage et l'autre vers le sous-sol.

- Là, ce sera bien, dit Yr en choisissant une table et en s'asseyant dos au mur. Au fait, qu'est-ce que tu veux boire ?

- Je vais prendre une cerveza, répondit la jeune femme.

Au comptoir, un homme d'une quarantaine d'années lui servit rapidement les boissons.

Quand il fut de retour à la table, Yr reprit :

- Je n'aurais jamais cru te voir à Altamira. La dernière fois, tu m'avais dit que tu repartais pour l'Eisen.

- C'est un peu compliqué, commença la jeune fille. Il s'est passé des choses... Maintenant, je ne peux plus commander les Aigles Noirs. Pas que j'ai eu des problèmes avec la troupe, hein ! Ils me font toujours parvenir des nouvelles !

Elle joignit ses doigts.

- Mais j'ai eu quelques problèmes... personnels. Et tout ça m'a mené à Altamira.

Elle s'arrêta quelques secondes.

- Au fait, Pier m'a demandé si j'avais de tes nouvelles. C'est drôle, hein ?

Yr haussa un sourcil.

- Tu ne te rappelles pas ? Pier Zlad, mon commandant en second ! Je me souviens comme il t'avait dans le nez, la première fois que nous nous sommes rencontrés. C'était à Kirk, je crois...

Elle avala une gorgée de sa cerveza et continua.

- C'était dans cette auberge, "le skjaeren bourré", ou un truc comme ça. On venait d'y arriver, après trois jours de voyage dans la boue, et on n'aspirait qu'à se reposer. Puis, tu es arrivé et tu as voulu me payer quelque chose à boire.

Yr posa un regard étonné sur Einhard.

- Tu ne te rappelles vraiment pas ?

[HRP : Je laisse libre cours à ton imagination. Mais je reprends la main, après. ]

Yr éclata de rire à son tour.

- C'est vrai, vous n'avez pas commencé du bon pied ! Mais ça s'est arrangé après que tu l'aies sorti de prison en payant sa caution. Il n'aimait pas les ussurans, le prévôt de Kirk... Enfin, il m'a écrit de te passer le bonjour, si je te voyais.

La femme s'interrompit.

- Tu sais qu'il dirige les Aigles du Nord, à présent. Je lui ai laissé la place, après... mes problèmes. Et tu sais quoi ?

- Eh bien, tu te souviens de la petite, l'apprentie du médecin de la troupe ? Tu te rappelles, on n'arrivait jamais à prononcer son nom. Elle a disparu un jour et on ne l'a plus jamais revue.

Yr se pencha en avant.

- Elke Houvenaghel est ici, à Altamira !

Aussitôt, elle sourit.

- Tu crois qu'elle se souvient de toi ? Ca fait combien de temps ? Cinq ? Dix ans ?

- Eh bien, elle est spadassin. Et ça a l'air de plutôt bien marcher pour elle ! En plus, elle a bien grandi ! Elle est même plus grande que toi !

Elle but une gorgée de sa bière.

- Les choses changent, hein ? Tu es devenu un noble bien sous tout rapport et moi un maître d'escrime installé. On pourrait presque dire que ce qui s'est passé à Kirk, c'était juste un rêve...

La jeune femme laissa sa main où elle était.

- Mais ils peuvent parfois t'engloutir et te détruire... souffla-t-elle. Un peu comme une lame de fond...

Elle retira sa main avant que Einhard la touche.

- Tout arrive d'un coup...

Une larme coula le long de sa joue.

Un peu vexé mais compréhensif, Einhard releva la main pour essuyer la larme qui, loin de déparer sur le joli visage de la jeune femme, en accentuant étrangement la beauté.

Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, Yr. Mais je sais que tu es forte. On ne peut ni te briser, ni te détruire. Tu te rappelles la fois où tu as pris ce coup de masse en pleine tête ? On a tous cru que tu allais y rester, mais à peine une semaine plus tard, tu t'es relevée plus fraiche qu'un gardon, dit-il dans une tentative pour la faire sourire.
Certaines blessures sont juste plus longues à guérir que d'autres. D'expérience, en parler aide la plupart du temps. Mais si tu ne veux pas, je peux le comprendre.

Yr redressa la tête. Elle fixa sur Einhard sur magnifique regard azur.

- J'aimerais t'en parler, dit-elle tristement. Mais ce n'est pas possible maintenant. Peut-être, avec le temps...

Elle posa sa main sur celle de l'eisenör.

- Un jour.

On pouvait quasiment en lire la promesse dans ses yeux.

La jeune femme lui pressa la main.

- Pas autant que moi, souffla-t-elle. Tu es parti un jour et je ne t'ai plus jamais revu. Qu'est-ce que tu m'avais dit, déjà ?